IDEO RYH Urtanaheh

De Ideopedia
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Chroniques d'Ürtanaheh


Lal Behi, auteur des Chroniques d'Ürtanaheh, outre son goût pour l'écriture, est également idéolinguiste (créateur de langue construite). D'une manière générale, il s'intéresse particulièrement aux langues, aux mots, aux différentes grammaires et à tous ce qu'un langage peut révéler de magique, créatif et surprenant.

L'idéomonde d'Ürtanaheh a tout d'abord été créé parallèlement au ry, une idéolangue artistique ; cette dernière y a ensuite naturellement trouvé sa place.

Ürtanaheh est en cours de développement sous forme d'un récit ; il en est de même pour le ry et d'autres idéolangues (notamment le lamanā ou le xokram, dialecte du ry) qui y sont associées. Personnages et situations s'y entremêlent ; le ry, porteur du Souffle, sous-tend la narration et offre son pouvoir chamanique à ceux qui en sont les dépositaires.

Le texte de base sur lequel se sont construites la langue et la terre d'Ürtanaheh est un récit édifiant écrit pour les enfants portant le titre de Meshtahé, le Démon-de-lune. Á partir de cette histoire s'est imposée la nécessité (et l'envie) d'écrire un roman pour adulte suivant une trame similaire mais approfondie. Cet écrit, pour l'instant encore inachevé, inclus des dialogues en ry ou autres idéolangues, un peu à la manière d'un film en version originale sous-titrée.


Meshtahé, le Démon-de-Lune

L'intégralité du récit, en français et en ry, est disponible ici.


Chroniques d'Ürtanaheh

Les textes suivants sont extraits des Chroniques d'Ürtanaheh, titre provisoire d'un récit dont les mythes, les personnages et les croyances évoluent au sein d'un idéomonde.

Le premier extrait (Genèse de la terre d'Ürtanaheh), outre son aspect mythologique, montre bien l'importance que revêt le ry et le pouvoir intrinsèque et créatif propre aux mots.


Genèse de la terre d'Ürtanaheh

On raconte qu'au commencement, alors que la Terre était nue de l'homme, les éléments s'égaillaient, réjouis, sur toute sa surface, entremêlés les uns aux autres. Par un hasard géologique naquit un jour d'une pierre un géant colossal, fruste et farouche, dont la tête effleurait la voûte céleste. Nehr, le titan, errait sur le magma élémental, pataugeait dans les océans infinis. D'un naturel belliqueux, il ne pouvait supporter la solitude et entrait souvent dans des colères démesurées, battait des bras dans des gestes outranciers, lançait des hurlements à faire trembler les ondes.

Du feu émergea ensuite un être de poils et de dents, un loup gigantesque, noir et luisant, nommé Xotlā dont la tête était couronnée de deux oreilles effilées et la face ornée de cinq yeux, jaunes et irascibles. Les deux créatures se rencontrèrent inévitablement et chacune tenta d'assurer sa suprématie. Une lutte titanesque s'engagea et les combattants s'empoignèrent avec tant de violence que la légende prétend que les diamants souterrains s'en retirèrent vers les cieux pour former étoiles et constellations. Les hostilités virent l'épuisement, l'agonie et la fin de Nehr. Xotlā, le loup sauvage, non content de sa victoire, la paracheva en le dévorant en son entier, à l'exception du crâne qu'il lança dans l'espace où il devint la lune.

Alors qu'il savourait les derniers reliefs de son gargantuesque festin, Xotlā s'étrangla en mangeant le pied du géant : l'ongle du gros orteil se ficha dans sa gorge et, malgré ses contorsions, le monstre carnivore s'effondra de tout son long, charogne velue. Il resta là, immobile, longtemps, et une odeur insupportable se dégagea bientôt de son corps en putréfaction. Pour cette raison, l'air généra un souffle curatif, fécond et le corps de la bête devint la terre d'Ürtanaheh, ses muscles anguleux des collines et des vallées, ses côtes des montagnes, ses griffes des cavernes. Sous l'influence de ce vent créateur, chacun de ses innombrables poils se transforma et de leurs mutations naquirent les végétaux, arbres, racines, plantes thérapeutiques et létales, toutes les herbes et les céréales. Quant à l’homme, son origine reste incertaine ; certaines légendes, soulignant leur aspect impermanent voire le vide de leur existence, prétendent que les êtres animés proviennent des pores du loup gigantesque. Tout était donc prêt pour accueillir l'humain, mais avant sa venue, ultime cadeau, ses cinq yeux roulèrent hors de ses orbites, se changèrent en cinq pierres magiques, ovoïdes, parfaitement lisses, qui véhiculèrent l'art chamanique, la langue sacrée, les glyphes surnaturels. Depuis, les chamanes en retirent leurs pouvoirs et leur sagesse, ancestrale et sanctifiée. Bien sûr, la magie et l'usage talismanique existent partout aux confins des terres, mais les pierres seules assurent une maîtrise parfaite des sortilèges.

Elles exigent également de leurs détenteurs équité et justesse sous peine de mort. Pourtant, les âges sombres échurent où la sorcellerie prit tant d'ampleur qu'elle en vint à presque concurrencer l'influence des pierres et de leur véhicule, le Souffle, le rü. La soif de pouvoir engendra des énergies lourdes mais puissantes ; les mages noirs incorporèrent à leur ritualisation des bribes échappées d'enseignements chamaniques et leurs capacités s'accrurent. Mais s'ils savaient tuer d'un enchantement, jamais ils ne purent prétendre à l'art ultime censément offert à ceux qui servaient le rü, créer la vie.


Canopée

Dans cet extrait, Muxam, un des personnages féminins de l'histoire, est plongé dans le chagrin suite à la disparition de son frère nouveau-né, disparition dont elle se considère responsable. Muxam, qui a un peu moins de neuf ans au moment des faits, appartient à la tribu des Xotlās, les hommes-loups, ainsi nommés à cause d'une supposée parenté avec le loup mythique originel.

Muxam, toujours muette, s’isolait fréquemment ou passait de longues heures immergée dans les eaux du lac qui, en glissant sur sa peau duveteuse, érodaient peu à peu les strates de son chagrin. Elle recouvra imperceptiblement le goût de la vie mais ne dut celui de la parole qu’à sa rencontre avec Ningalam. L’adolescent, de quelques années son aîné, se lia avec elle, sans doute parce qu’il était lui-même coutumier de la solitude. Celui-ci se hissait jusqu’à la canopée, dans le seul but d’y admirer l’immensité de la forêt et cette mer de verdure qui lui semblait tout à la fois prête à le protéger ou l’engloutir. Il y entraîna Muxam ; cet interface entre le monde terrestre et l’espace aérien leur fut un refuge autant que dura leur deuil respectif – Ningalam avait perdu depuis peu son œil droit lors d’une chasse, non pas du fait d’un acte héroïque contre le gibier mais en entrant par inadvertance violemment en contact avec un tronc rugueux. Assommé, il avait été ramené au campement avec quelques moqueries d’ailleurs vite tues lorsque son œil s’était infecté et avait dû être ôté. Sa vision à présent monoculaire et plane lui interdisait dorénavant toute velléité cynégétique ; lui qui appréciait particulièrement de courir au cœur de la forêt, zigzaguant entre les arbres, vivifié par la fraîcheur sur son visage avait été contraint d’abandonner ce plaisir gratuit puisqu’il ne pouvait plus guère évaluer les distances. Peut-être était-ce à cause de ce handicap qu’il se plaisait à la cime même des arbres ; tout, proche ou lointain, semblait identique et l’immensité était telle qu’on en perdait la notion d’espace.

Pour des raisons différentes, Muxam s’apaisa dans la contemplation monotone et fascinante de cette verte étendue. Elle suivait Ningalam dans ces échappées d’altitude : ils s’éloignaient à la dérobée car les anciens réprouvaient les activités du jeune homme, estimant que son champ de vision tronqué rendait l’escalade périlleuse, sinon folle. Ils le lui auraient d’ailleurs volontiers interdit s’il avait mis en péril, en plus de sa vie, celle du clan.

À cause de leur exposition particulière à la lumière et à sa chaleur, les feuilles qui tapissaient la canopée possédaient des propriétés singulières, tout à fait inconnues de qui demeurait au sol. La teinte même du feuillage virait au bleu et les nervures étaient parfois si apparentes que le limbe foliaire en semblait alternativement translucide ; Muxam y devinait la circulation de la sève qui, de blanchâtre dans les hauteurs intermédiaires devenait hyaline et brillante. Ningalam lui fit goûter ce suc – prélevé sur certains arbres, notamment l’anghon, au tronc blanc et écailleux – qui possédait la particularité de plonger l’individu dans une transe onirique. Si Ningalam en usait pour endormir le souvenir de sa complétude, la drogue permit à Muxam un relatif contrôle sur ses visions car si elles se décuplaient lorsqu’elle absorbait l’élixir de l’anghon, elles diminuaient d’autant en dehors. Muxam apprit donc à en consommer selon ses besoins plus pour juguler le caractère intempestif de son intuition que dans un but d’évolution. D’ailleurs, elle se plongeait dans ces images avec une appréhension mitigée et en émergeait souvent avec un goût amer ; elle en retirait parfois des enseignements à son insu et l’impression confuse que ce qu’elle vivait se reproduirait interminablement. Pourtant, nichée sur la canopée, elle expérimentait également des extases qui la conduisaient vers le ciel immense, omniprésent ; son corps en entier mutait de l’état solide à celui, éthéré, de gaz et cette sublimation s’emparait et de son physique et de son esprit. Elle s’élevait comme un drap emporté par le vent, elle s’envolait en déployant des ailes souples et désincarnées, l’air s’engouffrait sous son ventre et ses bras, ses cheveux se mêlaient aux nues, ses yeux, réduits à deux fentes, contemplaient le monde en contrebas et la petitesse de l’existence. Plus elle s’éloignait des cimes, plus elle s’enorgueillissait et vivait ainsi un sentiment de toute-puissance qui l’écartait momentanément de ses craintes personnelles. Muxam garderait tout au long de sa vie un plaisir indicible à se noyer dans l’espace ; sur les contreforts de Seshtarün, ne s’assiérait-elle pas à l’aplomb de la falaise, perdue dans l’éther, oublieuse de sa nature terrestre ?

Elle et Ningalam partageaient le secret de leurs escapades et leurs visions. Les deux complices passèrent ainsi de longues heures et quelques nuits dans le giron de la voûte sylvestre. Ainsi, Muxam se rouvrit à l’existence sur les sommets des frondaisons ou sous les eaux lisses du Muwegon, plus haut que le sol, plus bas que la terre, sans doute loin de la réalité.


Le confer du nom

Semenekh consacra son retour par deux cérémonies associées au nouveau-né : le don du sang à la terre, l'orum-daï, et le confer du nom.

L'orum-daï, rituel ancestral, simple mais très profond a pour but de relier physiquement l'enfant à la terre et partant, à tous les éléments constitutifs de son corps et de l'univers. D'une aiguille, l'officiant perce le lobe de l'oreille du nourrisson, parfois l'orteil - en rappel du funeste destin de Nehr, laisse perler une goutte de sang qui en touchant le sol et s'y mêlant, déclenche une relation symbiotique entre la planète et l'individu. Un ombilic subtil s'instaure et les relie, à l'évidente condition que l'homme le respecte et l'entretienne ; la prodigalité des éléments est sans borne, mais jamais les aveugles n'ont vu ni ne verront. L'enfant qui n'avait pas encore de nom était, de par ses expériences brèves mais intenses, déjà prédisposé à cette relation première. Le rituel eut lieu dans la forêt, sous les frondaisons, là où les arbres sont légions et les bosquets touffus.

Père et fils rentrèrent ensuite car il était de coutume que l'enfant fût nommé en présence des membres de sa famille. Ils furent donc rejoints par Shalu, sa tante et son cousin. Nommer procède d'une décision réfléchie mais dont les motivations échappent parfois même au conférant.

Comme l'avait déjà fait secrètement Shalu, le chamane traça un cercle sur le front de son fils et murmura dans le langage secret :

- Kjehy ƭaʒ ăpe tu ŋelehe ki, aɩr rɛnhy Orʃ ƥan le orʃ lɛɩh. Mehɛt aɩr rɛn le ŧa ɛʧewe mŏgenu gemiwe hyeni hewelɛð 1.

À l'intention d'Ao et d'Ühnâng, Shalu traduisit la phrase de son père. Il se fit un silence pesant, chacun se faisant sien la violence de ce nom. Dans la pénombre de la maison, les yeux dissemblables de l'enfant lui donnaient une expression singulière ; l'œil vert luisait en captant la lumière, le brun disparaissait dans le demi-jour, tel un cercle obscur. Ce regard personnifiait à la perfection la dualité que ce baptême avait induit. Shalu, en lui-même, se répétait le nom de son frère, mais toujours, lorsqu'il serait prononcé, il lui juxtaposerait l'espoir secret dont il avait le premier apposé le sceau. Ces deux pans de la personnalité de l'enfant l'encourageraient dans son ambivalence et s'il n'en furent sans doute pas la cause, ils concoururent à son développement.

1 : Ton nom sera Orsh, ce qui signifie tuer, car ta naissance a coïncidé avec la mort de ta mère. Pour autant, ce nom te permettra de trancher et de faire des choix incisifs.

Liens

ry : le ry, idéolangue artistique et sa grammaire.

Lal Behi : page personnelle - Lal Behi, idéolinguiste

Idéopédia : le wiki en français des idéolinguistes.

Atelier Philologique : le forum en français des idéolinguistes (langues construites, artistiques, auxiliaires, systèmes de communication, diégèses).